L’objectif de la France, qui consistait à construire 14 nouveaux réacteurs d’ici 2050, est irréaliste au vu des importants retards de construction et dépassements de coûts auxquels sont confrontés les nouveaux projets nucléaires.
Le nucléaire doit continuer de jouer un rôle clé dans le secteur énergétique français, mais pas au détriment de la croissance des énergies renouvelables.
La politique française en la matière, qui misait sur une réduction de la production nucléaire, a récemment changé pour appeler à un « renouveau » de cette technologie.
La forte dépendance de la France au nucléaire lui a permis de maintenir des émissions relativement faibles dans le secteur de l’énergie, mais l’a également exposée aux nombreuses difficultés associées à cette technologie.
Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 et à la nette réduction de l’approvisionnement de gaz russe vers l’Europe suite à cela, les prix du gaz au comptant ont explosé sur le continent, affectant largement les consommateurs industriels et de détail. Les prix ont atteint un pic en août 2022 et sont restés historiquement élevés jusqu’en 2023. Ils sont aujourd’hui redescendus aux niveaux d’avant 2022.
Au cours des deux dernières années, le gaz russe importé en Europe par gazoduc a largement été remplacé par du gaz naturel liquéfié (GNL) issu de sources alternatives. Les restrictions et les mécanismes d’effacement de la demande ont contribué à amortir l’envolée des prix. Les consommateurs de l’Union européenne ont fait preuve d’une grande résilience dans leur capacité à réduire leur consommation d’énergie. La part russe dans les importations européennes de gaz, qui était de 40 % en 2021, est à présent tombée à 15 % (en prenant en compte les approvisionnements par gazoduc et en GNL).
Dans le cas de la France, cette crise énergétique a été particulièrement difficile à gérer, car elle coïncidait avec la mise hors service de plusieurs réacteurs nucléaires pour des travaux de maintenance . En 2022, le pays était un importateur net d’électricité, ce qui n’était pas arrivé depuis plus de 40 ans. En 2023, la plupart des réacteurs ont été remis en service et la France est redevenue un exportateur net d’électricité. Cet épisode a illustré les risques que faisait peser sur la France son exposition à l’énergie nucléaire.
Le développement des centrales nucléaires en France a commencé dans les années 1970, en partie pour répondre au choc pétrolier de 1973 provoqué par les pays de l’OPEP. L’énergie nucléaire était alors considérée comme un moyen de garantir l’indépendance énergétique du pays. La première centrale a vu le jour en 1977. Presque chaque année, de nouvelles unités ont été ajoutées au système jusqu’en 1999 (voir le Graphique 1).
Pendant cette période, la capacité nucléaire de la France a atteint 61,5 gigawatts (GW). Cela équivaut à une production moyenne de 400 térawattheures (TWh) par an, soit 70 % ou 80 % de la production totale d’énergie du pays en fonction de l’année. À l’échelle mondiale, la France est le pays qui possède la plus grande part de nucléaire dans son bouquet énergétique et se place en deuxième position, derrière les États-Unis, en terme de capacités installées. En ajoutant ses 25 GW de capacité hydroélectrique, les deux technologies permettent en moyenne de répondre à 90 % de la demande en électricité de base et de pointe de la France, sans générer d’émissions de CO2.
La France a également développé l’exportation de ses réacteurs nucléaires. Sa dernière technologie, le réacteur pressurisé européen (EPR) a été livré en Finlande, en Chine et au Royaume-Uni.
Cependant, comme le montre le Graphique 1, la France n’a pas construit de réacteur nucléaire depuis 1999 et n’a donc pas optimisé son expertise concernant l’EPR pour la flotte nucléaire nationale. La construction du dernier réacteur en date, Flamanville 3, a commencé en 2007. Sa mise en service n’a pas encore été effectuée. Le projet compte désormais 12 ans de retard et a coûté près de quatre fois plus que le budget initialement prévu.
En outre, de nombreux réacteurs arrivant au terme de leurs quarante années de durée de vie, les décisionnaires doivent choisir entre les fermer et rallonger leur durée d’exploitation de 10 ou 20 ans en mettant en place d’importants programmes de rénovation.
Le rôle du nucléaire dans le futur bouquet énergétique de la France fait l’objet d’un débat politique de plus en plus essentiel et controversé.
Après son élection à la présidence de la République en 2012, François Hollande s’est engagé à réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production énergétique française d’ici 2035, avec un ambitieux plan de démantèlement. Cependant, aucune unité nucléaire n’a été démantelée au cours de son mandat et aucune date de démantèlement juridiquement contraignante n’a été fixée pour les centrales. Le seul engagement juridiquement contraignant à avoir été conclu était de plafonner la capacité nucléaire de la France à 63 GW.
Entre 2017 et 2022, lors de son premier mandat, le président Emmanuel Macron n’a pas entamé de changement de politique nucléaire, reportant ainsi le débat. Les réacteurs nucléaires Flamanville 1 et 2 ont été arrêtés en 2020 après avoir dépassé leurs 40 années de durée de vie, car aucun accord n’avait été conclu avec le fournisseur d’énergie EDF en faveur d’un grand programme de rénovation.
Au cours de son second mandat, Macron a appelé à un « renouveau nucléaire » et annoncé son intention de construire 14 nouveaux réacteurs d’ici 2050, visant implicitement à maintenir une capacité de 63 GW, ainsi que la part actuelle du nucléaire dans le bouquet énergétique du pays. Cette annonce a été largement critiquée au sein de la sphère politique, le principal argument étant que le nucléaire allait ralentir la croissance des énergies renouvelables. Cela a également suscité des inquiétudes concernant les difficultés associées à la technologie nucléaire comme la sécurité, les longs délais de constructions, les lourdes dépenses en capital (voir le Graphique 2), un coût moyen de production supérieur à celui des énergies renouvelables et la gestion des déchets.
Il est indéniable que le nucléaire a aidé la France à conserver des émissions relativement faibles dans le secteur de l’énergie. Avec 53,5 g de CO2 par kilowattheure, il s’agit du cinquième pays d’Europe avec le plus faible taux d’émissions. Le bouquet énergétique des pays qui la devancent est dominé par l’hydroélectricité : il s’agit de l’Islande, de la Suisse, de la Suède et de la Norvège. L’intensité des émissions produites par le secteur énergétique français est 10 fois inférieure à celle de l’Allemagne et 15 fois inférieure à celle de la Pologne (voir le Graphique 3).
Le nucléaire n’est pas considéré comme une technologie renouvelable puisquel’uranium est nécessaire pour faire fonctionner les réacteurs, mais le débat reste ouvert pour déterminer s’il peut être considéré comme une énergie verte. Le principal avantage de cette technologie est qu’elle offre une production de base stable et sans émissions de CO2 pendant une longue durée de vie.
Bien que les défis que représente l’énergie nucléaire soient connus (p. ex. sécurité, coûts, gestion des déchets), l’objectif de la France de construire 14 nouvelles unités nucléaires d’ici 2050 semble au mieux irréaliste.
Les importants retards de construction et les dépassements budgétaires rencontrés dans le cadre de la construction des deux derniers EPR (Flamanville 3 en France et Olkiluoto 3 en Finlande) sont la preuve que construire en moyenne un réacteur tous les deux ans d’ici 2050 n’est pas un objectif réalisable.
Le nucléaire doit certainement continuer de jouer un rôle clé en France pour atténuer la crise climatique, mais pas au détriment de la croissance des énergies renouvelables.
Les hypothèses suivantes permettent d’évaluer la part du nucléaire dans le bouquet énergétique de la France en 2050 :
En se basant sur les paramètres ci-dessus (six réacteurs construits entre 2024 et 2050 semble être une estimation raisonnable étant donné le délai nécessaire à la construction des réacteurs Flamanville 3 et Olkiluoto 3), il faudrait que la durée de vie de 13 des 56 réacteurs nucléaires actuellement en activité soit prolongée de 20 ans pour que la part du nucléaire constitue 30 % du bouquet énergétique français. Pour atteindre 40 %, il faudrait prolonger la durée de vie de 20 réacteurs d’autant d’années. Actuellement, aucun accord n’a été conclu entre le gouvernement, l’Autorité de sureté nucléaire et le fournisseur d’énergie EDF concernant un éventuel programme de rénovation en vue de prolonger la durée de vie des installations.
C’est pourquoi selon l’IEEFA, et au vu des hypothèses mentionnées ci-dessus, la part du nucléaire dans le bouquet énergétique français en 2050 pourrait être au maximum de 40 %, et de manière plus réaliste, de 30 %, et serait complétée par l’éolien terrestre et en mer, l’énergie solaire, la biomasse et l’énergie marémotrice.
CORRECTION : Cette analyse a été modifiée le 12 juillet 2024. Une version précédente de la figure 1 "Capacité installée du parc nucléaire français (mégawatts)" montrait une ligne plate de 1999 à 2023. Le graphique a été mis à jour pour refléter la fermeture de deux réacteurs nucléaires en 2020.